Une vie sans notifications

par Ploum le 2025-09-02

Avertissement : Cet article parle de mon expĂ©rience avec le Mudita Kompakt, mais, n’étant pas liĂ© Ă  cette firme, je ne rĂ©pondrai Ă  aucune question concernant cet appareil ni le Hisense A5. Tout ce que j’ai Ă  dire au sujet de cet appareil est dans ce billet. Pour le reste, voyez les nombreuses vidĂ©os et articles sur le Web ou rejoignez le forum de Mudita.

Le grand problĂšme du minimalisme numĂ©rique, c’est qu’il n’y a pas une solution satisfaisante pour tout le monde. Sur les forums consacrĂ©s au minimalisme numĂ©rique, chaque solution est critiquĂ©e pour faire « trop » et, parfois par les mĂȘmes personnes, pas assez.

J’ai vu des personnes en quĂȘte d’un dumbphone pour soigner leur addiction Ă  l’hyperconnexion se plaindre de ne pouvoir installer Whatsapp et Facebook dessus. D’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, j’ai suffisamment d’expĂ©rience dans l’industrie pour savoir que les humains sont trĂšs mauvais pour dĂ©terminer leurs propres besoins, ce que j’appelle « le syndrome de la maison de plain-pied Ă  3 Ă©tages ». Je veux tout, mais que ce soit minimaliste.

L’addiction Ă  l’écran

Il y a 6 ans, je pris conscience qu’une grande part de mon addiction Ă  mon smartphone venait de l’écran lui-mĂȘme. Comme l’a dit un jour un participant Ă  un forum que je frĂ©quente, les Ă©crans sont devenus tellement beaux, les couleurs tellement riches que l’image est plus belle que la rĂ©alitĂ©. Regarder une photo de paysage aux couleurs saturĂ©es et retouchĂ©e est plus beau que de regarder le paysage en rĂ©alitĂ©, avec sa grisaille, son autoroute qui n’apparait pas dans le cadre de la photo, sa pluie fine qui nous rentre dans le cou. Nous n’utilisons plus nos smartphones pour faire quelque chose, ils font partie de notre corps et de notre esprit.

Dans mon cas personnel, se passer d’écran avec un dumbphone ne pouvait convenir, car l’usage le plus important que je fais de mon tĂ©lĂ©phone est de m’orienter Ă  vĂ©lo et, alors que je suis au milieu de la nature, de crĂ©er un itinĂ©raire de retour Ă  charger sur mon GPS. Ça et utiliser Signal, le seul chat de ma vie quotidienne.

Pour ĂȘtre franc, le concept de dumbphone me dĂ©passe un peu, car s’il y a bien un truc dont je n’ai pas envie ni besoin, c’est d’ĂȘtre joignable partout tout le temps. Si c’est pour laisser un dumbphone en silencieux dans ma poche, autant ne rien prendre du tout !

Ma quĂȘte de sobriĂ©tĂ© numĂ©rique a donc commencĂ© avec l’un des trĂšs rares smartphones Ă  Ă©cran e-ink, le Hisense A5 (Ă  droite sur la photo d’illustration).

Le Hisense est un produit bon marchĂ© de piĂštre qualitĂ©, Ă  destination du marchĂ© chinois. S’il ne disposait d’aucun service Google, il est plein de spywares chinois impossibles Ă  dĂ©sinstaller (mais que je tentais de contenir avec le firewall Adguard, configurĂ© aux petits oignons pendant des heures).

Pendant six ans, j’ai utilisĂ© exclusivement cet appareil. Lors de mon premier voyage avec, un trip en train en Bretagne pour un projet de livre, j’ai Ă©tĂ© en permanence anxieux Ă  l’idĂ©e que « quelque chose se passe mal, car je n’avais pas un vrai smartphone ». Mais, petit Ă  petit, je me suis surpris Ă  moins l’utiliser que son prĂ©dĂ©cesseur, Ă  accepter ses limites. L’écran e-ink liĂ© Ă  la lenteur et aux bugs du logiciel en partie en chinois ne me donnait pas du tout envie de l’utiliser. TrĂšs vite, la couleur des Ă©crans de smartphones m’est apparue comme violente, agressive. Mais que je passe quelques minutes sur un tel Ă©cran et, soudain, je retrouve un bon vieux shoot de dopamine, une envie de l’utiliser pour faire quelque chose. Quoi ? Peu importe tant que je peux garder les yeux rivĂ©s sur ces lumineuses formes mouvantes.

L’hyperconnexion permanente

Il m’est souvent arrivĂ© de prĂ©tendre que le Hisense n’était pas un smartphone pour Ă©viter d’installer une app soi-disant indispensable pour un service dont j’avais besoin ou, tout simplement, pour obtenir une carte papier dans ces restaurants qui ont l’impression d’ĂȘtre Ă  la pointe de la technologie, car ils ont un QR code scotchĂ© sur la table. Mais c’était un mensonge. Car le Hisense est, au fond, un smartphone des plus classiques.

J’y avais mes emails, un navigateur web et mĂȘme Mastodon, que j’ai trĂšs vite supprimĂ©, mais auquel je pouvais accĂ©der via Firefox ou Inkbro, navigateur optimisĂ© pour les Ă©crans e-ink.

Mon addiction va beaucoup mieux. J’ai perdu l’habitude d’avoir mon smartphone tout le temps sur moi, ne le prenant pour sortir que si je pense en avoir rĂ©ellement besoin. Ça n’a l’air de rien, mais, pour certains addicts, sortir sans tĂ©lĂ©phone est une vĂ©ritable aventure. Faire l’expĂ©rience est une excellente maniĂšre de rĂ©aliser Ă  quel point on est addict.

Le Hisense a beau ĂȘtre gros et moche, lorsque je l’avais avec moi et que j’avais un temps mort, je vĂ©rifiais si je n’avais pas reçu d’emails. Je devais, comme tout smartphone, penser Ă  le remettre en silencieux lorsque j’avais activĂ© la sonnerie, car je voulais ĂȘtre joignable, faire les mises Ă  jour des toutes les apps que je gardais, car je pouvais en avoir potentiellement besoin. Bref, la gestion classique d’un smartphone.

Cela me convenait, mais, les smartphones e-ink n’ayant jamais vraiment percĂ©, je me demandais comment j’allais remplacer un appareil qui prĂ©sentait des signes de faiblesse (batterie qui se vide soudainement, chargement qui ne fonctionne plus que, intermittence).

C’est alors que j’ai Ă©tĂ© convaincu par le Kompakt de Mudita.

Mudita est une entreprise polonaise qui cherche Ă  offrir des produits favorisant la pleine conscience. Des rĂ©veils au design Ă©purĂ©, des montres et un dumbphone, le Mudita Pure, qui me faisais grandement de l’Ɠil, car basĂ© sur un systĂšme entiĂšrement Open Source. Malheureusement, le Pure Ă©tait trop minimaliste pour moi, car ne permettant pas d’utiliser mon GPS de vĂ©lo.

Puis est arrivé le Kompakt.

BasĂ© sur Android, le Kompakt est techniquement un smartphone. En plus petit. Et avec un Ă©cran e-ink d’une qualitĂ© bien moindre que le Hisense. Et pourtant


Premiers pas avec le Kompakt

La premiĂšre chose qui m’a frappĂ©e en dĂ©ballant mon Kompakt, c’est que je n’ai dĂ» crĂ©er aucun compte, passer par aucune procĂ©dure autre que le choix de la langue. InsĂ©rez une carte SIM, allumez et ça fonctionne.

Mudita fait trĂšs attention Ă  la vie privĂ©e et ne propose aucun service en ligne. Le tĂ©lĂ©phone est entiĂšrement dĂ©googlisĂ© voire mĂȘme « dĂ©cloudisé » (contrairement Ă , par exemple, Murena /e/OS). Pour la premiĂšre fois depuis des lustres, je ne devais pas combattre mon tĂ©lĂ©phone, je ne devais pas le configurer, le transformer.

C’est incroyable comme ça m’a fait plaisir.

Pour ĂȘtre transparent, il faut prĂ©ciser que les dĂ©veloppeurs rĂ©cupĂšrent des donnĂ©es anonymisĂ©es de debug et que ce n’est, pour le moment, pas dĂ©sactivable. Une discussion Ă  ce sujet est en cours sur le forum Mudita.

Car, oui, Mudita dispose d’un forum de discussion auquel participe une employĂ©e de la firme qui tente d’aider les utilisateurs et se fait le relais vers les dĂ©veloppeurs. Un truc qui Ă©tait la base en 2010, mais qui semble incroyable de nos jours.

Bref, je me suis senti un client respectĂ©, pas une vache Ă  lait. Et je n’en reviens toujours pas.

Outre le forum, ce qui m’a frappĂ© avec le Mudita, c’est qu’il pousse rĂ©ellement l’idĂ©e de minimalisme jusque dans ses retranchements. L’application GPS permet de chercher une adresse et de faire un itinĂ©raire piĂ©ton, vĂ©lo ou voiture. Et c’est tout. Des options ? Aucune, nada, nihil ! Et vous savez quoi ? Ça fonctionne ! Vu que c’est OpenStreetMap, ça fonctionne trĂšs bien et j’ai dĂ©sinstallĂ© Comaps que j’avais mis par rĂ©flexe. L’appareil photo
 prend des photos et c’est tout (on peut juste activer/dĂ©sactiver le flash).

Trouver son chemin avec le Mudita Kompakt
Trouver son chemin avec le Mudita Kompakt

C’est comme ça pour toutes les applis : en 10 minutes, vous aurez fait le tour de toutes les options et c’est incroyablement rafraichissant.

Bon, parfois, c’est limite trop. Le lecteur de musique affiche vos MP3 et les lit par ordre alphabĂ©tique. C’est tout. Ils ont promis d’amĂ©liorer ça, mais, au fond, je trouve ça amusant d’ĂȘtre limitĂ© de cette façon.

Les choses sérieuses

Si Mudita n’offre aucun service en ligne, la meilleure maniĂšre d’interagir avec son tĂ©lĂ©phone est le Mudita Center, un logiciel compatible Windows/MacOS/Linux. AprĂšs l’avoir tĂ©lĂ©chargĂ©, vous devez brancher votre tĂ©lĂ©phone Ă  votre ordinateur avec
 retenez votre souffle
 un cĂąble USB. (sur Debian/Ubuntu, vous devez ĂȘtre membre du groupe "dialout". "sudo adduser ploum dialout", reboot et puis c’est bon)

Un cĂąble ! En 2025 ! Incroyable, non ? Quand je vois comme j’ai dĂ» me battre avec le Freewrite d’Astrohaus qui force l’utilisation de son cloud propriĂ©taire, j’apprĂ©cie Ă  outrance le fait de brancher mon tĂ©lĂ©phone avec un cĂąble.

Avec le Mudita Center, vous pouvez envoyer des fichiers sur l’appareil. Les MP3 pour la musique, les epub ou les pdf, qui seront ouverts dans l’appli E-reader. Pratique pour les billets de train et autres tickets Ă©lectroniques. Une section est rĂ©servĂ©e pour transfĂ©rer les fichiers APK que vous voulez « sideloader ». On s’est tellement fait entuber par Google et Apple qu’on a perdu le droit d’utiliser le mot « installer » en parlant d’un logiciel. Ce mot est dĂ©sormais privatisĂ© et il faut « sideloader » (du moins tant que c’est encore lĂ©galement possible
).

Dans mon cas, je n’ai sideloadĂ© qu’un seul APK : F-Droid. Avec F-Droid, j’ai pu installer Molly (un client Signal), mon gestionnaire de mot de passe, mon appli 2FA, le clavier Flickboard et Aurora Store. Avec Aurora Store, j’ai pu installer Komoot, Garmin, Proton Calendar et l’app SNCB pour les horaires de train. Pas de navigateur ni d’email cette fois ! Je me suis quand mĂȘme accordĂ© l’application WikipĂ©dia, pour tester.

Tout est petit, en noir et blanc (ça, j’avais dĂ©jĂ  l’habitude), mais, dans mon cas, tout fonctionne. Attention que ce ne sera peut-ĂȘtre pas votre cas. Les applis qui ont besoin des services Google, comme Strava, refuseront de se lancer (ce qui ne change pas de mon Hisense). Mon appli bancaire nĂ©cessite une camĂ©ra Ă  selfie (ce que le Kompakt n’a pas) et je vais devoir trouver une solution de rechange.

Au fait, Mudita ne permet pas de personnaliser la liste des applications. Celles-ci sont classĂ©es par ordre alphabĂ©tique. Pas de raccourcis, pas d’options. Si c’est perturbant au dĂ©but, cela se rĂ©vĂšle trĂšs vite trĂšs apprĂ©ciable, car c’est, une fois encore, un truc de moins Ă  penser, une excuse de moins pour chipoter.

À noter qu’il est cependant possible de cacher des applications. Si vous n’utilisez pas l’app de mĂ©ditation, vous pouvez la cacher, tout simplement. Simple et efficace.

Les notifications

C’est lorsque j’ai reçu mon premier message Signal que j’ai rĂ©alisĂ© un truc Ă©trange. J’ai bien entendu le son, mais je ne voyais pas de notifications.

Et pour cause
 Le Mudita Kompakt n’a pas de notifications ! L’écran d’accueil vous montre si vous avez eu des appels ou des SMS, mais, pour le reste, il n’y a pas de notifications du tout !

Mon premier rĂ©flexe a Ă©tĂ© d’investiguer l’installation d’un launcher alternatif, InkOS, qui permet une plus grande configurabilitĂ© et des notifications.

Mais
 Attendez une seconde ! Que suis-je en train de faire ? Je cherche Ă  refaire un smartphone ! Et si je tentais d’utiliser le Mudita de la maniĂšre pour laquelle il a Ă©tĂ© conçu ?Sans notifications !

Le seul rĂ©el problĂšme avec cette approche c’est que les notifications existent, mais que Mudita les cache. On les entend donc, mais on ne peut pas savoir d’oĂč elles proviennent.

Dans mon cas, c’est essentiellement Signal (enfin, Molly pour celleux qui suivent). Dans Signal, j’ai donc configurĂ© un profil de notification qui soit silencieux sauf pour les membres de ma famille proche.

Si j’entends mon tĂ©lĂ©phone faire un son, je sais que c’est un message de ma famille. Pour les autres, je ne les vois que lorsque je choisis d’ouvrir Signal. Ce qui est exactement ce qu’un systĂšme de communication devrait ĂȘtre.

Bien entendu, les choses se compliquent si vous avez plusieurs applications qui envoient des notifications. Il est possible d’avoir accĂšs aux notifications et de les dĂ©sactiver par applications en utilisant "Activity Launcher" disponible sur F-Droid. C’est un peu du chipotage, mais ça m’a permis de dĂ©sactiver les notifications « parasites » de tout ce qui n’est pas Signal.

La vie sans notifications

Lorsqu’on accepte ce mode de fonctionnement, le Mudita prend soudainement tout son sens.

J’avais dĂ©jĂ  fortement rĂ©duit les notifications sur le Hisense. Il Ă©tait d’ailleurs en silencieux la plupart du temps. Mais, Ă  chaque fois que je consultais l’écran, je voyais les petites icĂŽnes. Machinalement, je glissais mon doigt pour faire apparaĂźtre le tiroir Ă  notifications et « vĂ©rifier » avant de glisser latĂ©ralement pour supprimer.

Bon sang que j’ai en horreur ces gestes de glissement des doigts, jamais prĂ©cis, jamais satisfaisant comme le bruit d’une touche qu’on enfonce. Tiens, le Mudita ne permet d’ailleurs pas de « swiper » dans la liste des applications. Il faut faire dĂ©filer avec une flĂšche. C’est minime, mais j’apprĂ©cie !

Mais mĂȘme si je n’avais pas de notifications sur le Hisense, je vĂ©rifiais de temps en temps si je n’avais pas reçu un mail important. Je vĂ©rifiais une information sur un site web.

Oh, rien de bien mĂ©chant. Une addiction parfaitement sous contrĂŽle. Mais une sĂ©rie de rĂ©flexes dont j’avais envie de nettoyer ma vie.

Avec le Mudita Kompakt, l’expĂ©rience est trĂšs perturbante. Machinalement, je saisis l’appareil et
 rien. Il n’y a rien Ă  faire. La seule chose que je peux vĂ©rifier, c’est Signal. Je suis ensuite forcĂ© de reposer ce petit Ă©cran.

Pas besoin non plus de mettre en silencieux ou en mode avion. Le Kompakt dispose d’un switch hardware « Offline+ » qui dĂ©sactive tous les rĂ©seaux, tous les capteurs, y compris l’appareil photo et le micro. En Offline+, rien ne rentre et rien ne sort de l’appareil. Et quand je suis connectĂ©, je sais que je n’aurai que les appels tĂ©lĂ©phoniques, les sms et les messages Signal de ma famille proche.

C’est comme un nouveau monde


Tout n’est pas parfait

On ne va pas se leurrer, le Mudita Kompakt est loin d’ĂȘtre parfait. Il est petit, mais un peu trop gros. Il y a des bugs comme l’alarme qui se dĂ©clenche en retard ou pas du tout, comme l’appareil photo qui met prĂšs de deux secondes entre la pression sur le bouton et la prise effective de l’image (mais c’est dĂ©jĂ  mieux que l’appareil photo du Hisense dont la lentille s’est bloquĂ©e aprĂšs quelques semaines d’utilisation, rendant toutes mes photos irrĂ©mĂ©diablement floues).

Le forum regorge d’utilisateurs insatisfaits. Pour certains car je pense qu’ils n’ont pas conscientisĂ© les limites du minimalisme numĂ©rique, qu’ils espĂ©raient un smartphone complet avec un Ă©cran e-ink. Mais, dans d’autres cas, c’est clairement Ă  cause de bugs dans le systĂšme pour des cas d’usage qui ne me concernent pas directement, comme les problĂšmes Bluetooth alors que je suis tout heureux d’avoir un jack audio. Le Kompakt utilise une version trĂšs fortement modifiĂ©e et dĂ©googlisĂ©e d’Android 12 (les tĂ©lĂ©phones Googe sont Ă  Android 16). Le hardware lui-mĂȘme est assez ancien (plus que mon Hisense). Ce sont des dĂ©tails qui peuvent se rĂ©vĂ©ler importants. La batterie, par exemple, tient 3/4 jours, ce qui n’est pas extraordinaire en comparaison avec le Hisense. Une heure de hotspot wifi consomme 10% de batterie lĂ  oĂč le Hisense n’en perdait pas 3%.

L’application musicale est vraiment trùs minimaliste !
L’application musicale est vraiment trùs minimaliste !

MalgrĂ© ses limites, l’appareil n’est pas bon marchĂ© et il est probablement possible de configurer n’importe quel appareil Android pour avoir un Ă©cran Ă©purĂ© et pas de notifications. Mais ce qui me plaĂźt avec le Mudita c’est justement le fait que je ne le configure pas. Que je ne cherche pas Ă  comprendre ce que je dois bloquer, que je ne passe pas du temps Ă  optimiser mon Ă©cran d’accueil ou le placement des applications.

Ça ne conviendra certainement pas Ă  tout le monde. Il y a certainement plein de dĂ©fauts qui rendent le Kompakt inutilisable pour vous. Mais pour mon petit cas personnel et pour mon mode de vie actuel, c’est un vrai bonheur (Ă  l’exception de cette saletĂ© d’appli bancaire pour laquelle je n’ai pas encore trouvĂ© de solution).

Accepter de lĂącher prise

Car, oui, je vais rater des choses. Je verrai des mails urgents bien plus tard. Je ne pourrai pas chercher une information rapide quand je suis en déplacement. Je ne pourrai pas prendre de belles photos.

C’est le principe mĂȘme ! Le minimalisme numĂ©rique c’est, par essence, ne plus pouvoir tout faire tout le temps. C’est ĂȘtre forcĂ© de s’ennuyer dans les temps morts, de planifier certaines expĂ©ditions, de demander une information autour de soi si nĂ©cessaire, de se dire, dans certaines situations, que la vie aurait Ă©tĂ© plus facile avec un smartphone traditionnel.

Si vous n’avez pas effectuĂ© Ă  l’avance ce travail de faire le tri entre ce qui est vraiment nĂ©cessaire pour vous, ne songez mĂȘme pas Ă  prendre un tĂ©lĂ©phone minimaliste comme le Kompakt. Ce tĂ©lĂ©phone me convient parce que ça fait des annĂ©es que je rĂ©flĂ©chis Ă  ce sujet et parce qu’il est compatible avec mon mode de vie et mes obligations.

Si vous idĂ©alisez le minimalisme sans rĂ©flĂ©chir aux consĂ©quences, vous serez frustrĂ©s Ă  la premiĂšre friction, Ă  la premiĂšre perte de cette facilitĂ© omniprĂ©sente qu’est le smartphone. Le minimalisme numĂ©rique est Ă©galement un concept trĂšs personnel. Quand je vois le nombre d’appareils connectĂ©s que je possĂšde, j’ai du mal Ă  dire que je suis un « minimaliste ». Je cherche juste Ă  conscientiser et Ă  faire en sorte que chaque appareil ait pour moi un bĂ©nĂ©fice trĂšs clair avec le moins possible de dĂ©savantages (comme mon GPS de vĂ©lo ou mon analyseur de qualitĂ© d’air). Je ne suis pas vraiment minimaliste, je pense juste que le smartphone traditionnel a sur ma vie un impact nĂ©gatif trĂšs important que je cherche Ă  minimiser.

Certain·es me disent qu’ils n’ont pas le choix. Comme le dit trĂšs bien Jose Briones, c’est faux. Nous avons, pour le moment, le choix. C’est juste que ce n’est pas un choix facile et qu’il faut assumer les consĂ©quences, accepter de changer son mode de vie pour cela.

L’obligation du smartphone

Et, justement, ce qui est le plus effrayant avec cette dĂ©marche de tenter de minimiser l’usage du smartphone, c’est de rĂ©aliser Ă  quel point il devient presque obligatoire d’en avoir un, Ă  quel point ce choix devient de plus en plus tĂ©nu. Des services commerciaux, mais Ă©galement des administrations publiques considĂšrent que vous avez obligatoirement un smartphone rĂ©cent, que vous disposez d’un compte Google, d’une connexion Internet permanente, d’une batterie bien chargĂ©e et que vous ĂȘtes d’accord d’installer une Ă©niĂšme application dessus et de crĂ©er un compte en ligne pour quelque chose d’aussi mondain que de payer un emplacement de parking ou accĂ©der Ă  un Ă©vĂ©nement. Un contrĂŽleur de train me confiait rĂ©cemment que la SNCB planifiait de supprimer le ticket papier pour mettre en avant l’usage de l’app et du smartphone.

Sur les forums minimalistes, j’ai mĂȘme dĂ©couvert une catĂ©gorie d’utilisateurs qui possĂšdent un smartphone classique pour aller au travail, par simple peur d’ĂȘtre moquĂ© ou de passer pour un rebelle auprĂšs de leurs collĂšgues. De la mĂȘme maniĂšre, certains refusent d’installer Signal ou d’effacer leur compte Facebook par crainte que cela puisse paraĂźtre suspect. Une chose me semble claire : si c’est la peur de potentiellement paraĂźtre suspect qui vous retient, il est urgent d’agir maintenant, tant que cette suspicion n’est que potentielle. Installez Signal et GrapheneOS ou /e/OS maintenant pour avoir l’excuse, dans le futur, de dire que ça fait des mois ou des annĂ©es que vous fonctionnez comme cela.

Dans le cas du smartphone, je constate avec effroi que s’il est thĂ©oriquement possible de ne jamais en avoir eu, il est extrĂȘmement difficile de revenir en arriĂšre. Les banques, par exemple, empĂȘchent souvent de revenir Ă  une mĂ©thode d’authentification sans smartphone une fois que celle-ci a Ă©tĂ© activĂ©e !

Je souris quand je pense aux fois oĂč mon refus du smartphone m’a valu une rĂ©flexion de type : « Ah ? Vous n’ĂȘtes pas Ă  l’aise avec les nouvelles technologies ? ». Souvent, je ne rĂ©ponds pas. Ou je me contente d’un « si, justement  ». Au moins, avec le Mudita, je pourrai le brandir et affirmer haut et fort : je n’ai pas de smartphone !

Vous et moi, nous savons que ce n’est techniquement pas tout Ă  fait vrai, mais ceux qui veulent imposer l’ubiquitĂ© du smartphone GoogApple sont, par dĂ©finition, des ignares technologiques. Ils n’y verront que du feu
 Et, pour un temps, ils seront encore forcĂ©s de s’adapter, d’accepter que, non, tout le monde n’a pas tout le temps un smartphone.

Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable Ă©colo-cycliste entiĂšrement tapĂ©e sur une machine Ă  Ă©crire mĂ©canique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !

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